ll y a fort longtemps (2006 ;-)), j'ai été interrogé par la revue interne d'une entreprise, qui réfléchissait sur les nouveaux concepts de développement que les voix des Verts commençaient à populariser. Ce fut un exercice intéressant de "vulgarisation", dont je m'inspire souvent quand il me faut échanger avec des interlocuteurs a priori non connaisseurs de l'économie sociale et solidaire.

 

Le concept d’économie sociale et solidaire a fait irruption dans le débat politique. De quoi s’agit-il ? D’un modèle alternatif de production ? D’un système opposé au modèle libéral, ou complémentaire à lui ? Ou plus simplement d’une façon de traiter les thématiques d’insertion sociale, au profit des populations les plus pauvres ? Réflexions de Jean-Philippe Magnen, membre du Conseil national interrégional des Verts, en charge de l’économie sociale et solidaire.

 

Comment définir l’économie sociale et solidaire (ESS) ?

On a commencé à parler d’économie sociale et solidaire (ESS) pour décrire de larges pans de l'activité économique qui ne dépendent ni totalement du marché, ni totalement du service public. Typiquement, on a alors mis en valeur des activités comme les services à la personne, l’insertion par l’économique, les loisirs et l’éducation populaire… Ce qui a créé de la confusion : l’ESS a pu être résumée par certains à une économie marginale de traitement des problématiques sociales que l’économie classique ne sait pas résoudre. Une sous-économie, une « économie des pauvres », en quelque sorte ! Mais l’ESS couvre un champ bien plus large que cela. En fait, le concept d’ESS casse les schémas traditionnels, en posant un questionnement ambitieux sur la nature et l’objet-même du développement économique.

 

L’économie sociale et solidaire (ESS) n’est donc pas qu’un « tiers secteur »  ?

En parlant de troisième ou de tiers secteur, opposé au premier secteur, capitaliste, et au deuxième secteur, public, il me semble qu’on n’aborde qu’une partie des enjeux. Au-delà d’être une forme pour « entreprendre autrement », l’ESS remet en cause les modèles, en particulier le modèle monétaire, et pose une question de fond : comment mesurer la richesse ? C’est tout l’intérêt par exemple de la réflexion de quelqu’un comme Patrick Viveret, philosophe et magistrat à la Cour des Comptes, qui propose de « Reconsidérer la richesse »*, de se préoccuper d’un développement humain au sens large qui ne se satisfasse pas uniquement des ratios d’analyse financière. Quand la précarité touche des millions de personnes, quand on consomme les ressources naturelles à un rythme tel qu’il faudrait trois planètes pour tenir la distance, est-on bien sûr que le développement économique nous rend plus riches ? La maison brûle : il est donc urgent de se poser quelques questions fondamentales. De réfléchir aux façons de retrouver certains équilibres. Et surtout d’agir.

 

L’ESS, c’est dons la recherche d’équilibre plutôt que celle du profit ?

Pas uniquement la recherche du profit financier en tous les cas, parce que l’ESS pose autrement la question de la « profitabilité », de la répartition des fruits de l’activité économique qui pourrait être plus large et plus équitable, dans tout le corps social et sur tous les territoires. L’ESS se donne en fait trois vocations : l’intérêt général, avec des activités à utilité sociale et collective ; l’insertion des personnes, dans une simple logique de solidarité ; et enfin l’objectif commercial, c’est-à-dire la rentabilité, puisqu’il n’y a pas de raison que ces activités ne soient pas rentables… puisqu’elles sont utiles. Contre une économie qui produit des richesses impressionnantes tout en générant la précarité et l'exclusion, qui ignore les besoins collectifs s'ils ne lui semblent pas rentables, l’ESS veut recréer un triangle vertueux entre emploi, cohésion sociale et démocratie.

 

Mais ne se situe-t-on pas alors dans l’incantation ?

Surtout pas. L’ESS est dans le concret. Issue de deux traditions, le mouvement ouvrier et l'économie sociale (mutuelles, coopératives, associations), elle regroupe aujourd’hui en France entre 600 000 et 800 000 salariés. L'insertion par l'activité économique, à elle seule, emploie entre 250 000 et 300 000 personnes. Et l’ESS constitue une économie de proximité en pleine expansion, dont les emplois ont l’avantage de ne pouvoir être, en général, délocalisés. Des dizaines d’initiatives sont prises chaque jour, aux quatre coins de ce pays. Aux activités bien connues - logement des exclus, éducation populaire, aide aux personnes – s’ajoutent de nouveaux champs : la protection de l’environnement, le recyclage, le développement des énergies renouvelables, mais aussi le commerce équitable, dans une préoccupation d’un développement qui ne soit pas que celui des pays riches mais aussi de ceux du tiers-monde…

 

L’économie sociale et solidaire ne court-elle pas le risque de l’utopie ?

L’ESS n’est pas faite d’utopie mais de pragmatisme. D’une certaine façon, l’ESS est une façon pour les citoyens de reprendre la main sur la décision économique, de retrouver la capacité à agir sur l’économie. Un exemple simple : les formes alternatives d’organisation de la propriété des entreprises, de type coopératif (SCOP, SCIC), qui sont de plain-pied dans la logique de l’ESS. Elles représentent souvent une excellente façon de préserver l’existence d’une entreprise affectée par le départ d’un dirigeant historique ou par des difficultés financières… si on sait l’accompagner par des mesures fiscales adéquates. L’économie sociale et solidaire offre un autre regard sur le développement, plus coopératif que compétitif, plus solidaire que caritatif, et ouvre un large champ de possibles. On en est aujourd’hui à des échelles relativement modestes, souvent dans l’expérimentation, et il faut encore réfléchir aux modalités de l’élargissement, voire de la démultiplication, de son impact. Mais ce sont là des perspectives passionnantes.

* Reconsidérer la Richesse (Éditions de l'Aube), rapport réalisé en janvier 2002 à la demande de Guy Hascoët, secrétaire d’État à l’économie solidaire.

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